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Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/218

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UTILITÉ DE LA POÉSIE.

extérieur étrangement bariolé, cache un sens exquis et une philosophie profonde, tirent des coups de canon sur les bateaux à vapeur, prétendant que c’est une invention barbare et indécente ; ils ont raison, le bateau à vapeur, c’est la prose ; le bateau à voiles, c’est la poésie. Le bateau à vapeur, noir, massif, construit entièrement en fer, sans banderoles ni pavillon, sans ces larges ailes de toile qui se gonflent si gracieusement au vent, avec sa forge et ses tuyaux de tôle vomissant une fumée fétide, affreux à voir, mais allant vite et loin, portant beaucoup et tirant peu d’eau, ne dépendant pas du caprice du ciel et de la brise, monté par des forgerons et non par des matelots, ne ressemble-t-il pas exactement à la prose, toujours prête à porter ce qu’on veut où l’on veut, avec sûreté et en peu de temps, le tout à bon marché ? Le vaisseau, guidé par une intelligence et non par une machine, attendant comme une inspiration le souffle d’en haut pour partir ; le vaisseau, sous toutes ses voiles, fendant la mer comme un cygne gigantesque, et cousant à ses flancs polis un feston d’écume argentée, n’est-il pas la symbolisation parfaite de la poésie ? Le vaisseau a l’air d’un oiseau qui vole le bateau à vapeur, pataugeant dans l’eau avec ses palettes, a l’air d’un chien qui se noie ou d’un moulin emporté par une inondation. Par suite de la tolérance qui m’est naturelle, je consens néanmoins à ce que messieurs les commis voyageurs commer-