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Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/251

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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

Fraîcheur, naïveté, timidité adolescente, tout s’y retrouve ; c’est la candeur adorable du génie, mais sans l’inexpérience et les erreurs. C’est l’étude d’un élève peinte par son maître ; le don y brille, joyau inestimable serti dans la science ; tout ce qui vient de Dieu y est, avec tout ce qui vient de l’homme.

L’heureux possesseur de ce diamant l’a fait enchâsser dans une riche monture d’or, où se jouent des dauphins sculptés, et qui peut se dresser au milieu d’un appartement comme le David de Daniel de Volterre. Si M. Ingres vit cent ans, peut-être peindra-t-il l’autre face.

Il ne nous est rien resté des merveilleux peintres grecs ; mais, à coup sûr, si quelque chose peut donner une idée de la peinture antique telle qu’on la conçoit d’après les statues de Phidias et les poèmes d’Homère, c’est ce tableau de M. Ingres ; la Vénus Anadyomène d’Apelle est retrouvée. Que les arts ne pleurent plus sa perte.

Aphrodite est presque enfant. Le flot d’écume qui l’enfermait vient de crever et bouillonne encore. La déesse a l’apparence d’une jeune fille de treize à quatorze ans. Son visage, où s’ouvrent des yeux bleus doucement étonnés, et où s’épanouit un sourire plus frais qu’un cœur de rose, a toute la candeur et l’ingénuité du premier âge mais, dans son corps frêle et virginal, la puberté éclôt comme une fleur hâtive.