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Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/295

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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

dant dont ils se servaient, passé au crible, y laissa ses mots les plus colorés et les plus significatifs avec l’image, la métaphore et la substance même de la poésie. Les grammairiens l’emportèrent, et le français entre leurs mains devint la langue par excellence de la prose, des mathématiques et de la diplomatie, jusqu’au glorieux mouvement littéraire qui éclata vers 1830.

Saint-Amant ne savait à fond ni le latin ni le grec, mais en revanche il possédait l’espagnol, l’anglais et l’italien. On ne trouve donc pas chez lui ces fastidieux centons d’antiquité dont abusent jusqu’à la nausée les versificateurs dits classiques ; il copie directement la nature et la reproduit avec des formes qui lui sont propres ; il est moderne et sensible aux objets qui l’entourent. La lecture de ses œuvres si variées de ton vous fait vivre au plein cœur de son époque ; on voit ce qu’il dit, et mille physionomies dessinées d’un trait caractéristique, colorées d’une touche vive et brusque, vous passent devant les yeux en feuilletant ses vers, comme si l’on regardait ces cahiers d’estampes où Abraham Bosse a reproduit d’une pointe si nette et si instructive les intérieurs, les ameublements ; les costumes, les particularités et les habitudes de la vie familière au temps de Louis XIII. Ses doctrines littéraires, qu’il explique dans la préface du Moïse sauvé, prêchent la liberté de l’art, la recherche du nouveau, les cadences bri-