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Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/44

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VOYAGES LITTERAIRES

Il y a ensuite la catégorie des touristes littéraires à qui leurs moyens permettent malheureusement de visiter plus exactement l’étranger pour n’en rien dire et n’en rien savoir de plus. Ceux-là voyagent en poste, s’arrêtent juste aux lieux signalés et étudient fructueusement les mœurs du pays sur leur postillon, qui est généralement Français. De plus, on ne leur parle que français, on ne les sert qu’à la française ; il ne leur est même pas donné de reconnaître les barbarismes employés en citations dans leurs livres. On sait d’ailleurs à quelles tristes réalités se sont allées heurter leurs imaginations. On sait combien de ciels bleus se sont trouvés gris, sous combien de soleils de plomb ils ont été se morfondre comme nos soldats d’Afrique. On sait quelles terribles fautes ils ont pu découvrir dans les ouvrages antérieurs, car les mœurs locales sont mortes. Les villes d’Italie ont de grandes affinités avec nos boulevards ; il y gèle et il y pleut, contrairement à l’opinion ordinaire. On n’y sait pas ce que c’est qu’un stylet, et le meurtre y est puni de mort. Il y a en général moins de brigands qu’à Paris, et l’on n’est pas plus souvent arrêté en Calabre que dans la rue du Grand-Hurleur.

Venise, cette reine de l’Adriatique, baigne les pieds de marbre de ses palais dans une eau aussi bourbeuse que le canal de la Villette ; ses gondoliers y chantent par les belles nuits sur les lagunes :