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Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/54

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EXCELLENCE DE LA POÉSIE.

contraire, écrit en prose quand il veut descendre à cette besogne, avec une perfection ciselée dont aucun prosateur n’approche. Un chanteur sait parler, mais un orateur ne sait pas chanter. Les oiseaux volent et marchent les chevaux, si fringante et si fière que soit leur allure, ne peuvent que courir, et le galop du plus fin coureur anglais ne vaut pas le vol d’un aigle la double nature du poète tient de celle de l’hippogriphe ; nul animal de la terre ou du ciel ne peut le devancer à la course ou au vol son aile a l’envergure plus large et fouette plus vigoureusement l’azur de l’éther que l’aile du condor ou du fabuleux oiseau rock. Son sabot, plus léger que la plante du pied de la légère Camille, fait à peine ployer la pointe des herbes.

Pour preuve de ceci, nous apporterons un nom illustre, un nom éclatant et reconnu de tous, le nom du patriarche de la littérature moderne, le nom de M. de Chateaubriand ; assurément, si jamais quelqu’un au monde posséda la grandeur épique, le mouvement, la chaleur, la passion, la magnificence, la puissance d’image et toutes les hautes qualités de la poésie, c’est l’auteur des Martyrs, d’Atala et de René ; jamais prosateur n’eut plus l’apparence d’un poète, et en lisant les belles pages du Génie du christianisme tout le monde se dit involontairement que l’on ferait de beaux vers avec cela ; il n’y manque que la rime.