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Page:Gautier - La Chanson de Roland - 1.djvu/123

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ment Charlemagne et Roland pour objet, c’est le Ruolandes Liet du curé Conrad. Or, le Ruolandes Liet[1] n’est qu’une traduction de la Chanson de Roland, et une traduction souvent littérale.

Les critiques, d’ailleurs, ne sont d’accord ni sur la patrie du curé Conrad, ni sur l’époque où il écrivit sa célèbre traduction. Wilhelm Grimm, qui l’a publiée, avait d’abord proposé les années 1173-1177 ; mais plus tard il avoua « que le style de l’ouvrage lui assignait une date plus reculée[2] ». M. Gaston Paris se prononce en faveur de cette dernière opinion. « Conrad, dit-il, écrivit vers le milieu du xiie siècle, » et il lui donne pour patrie la Bavière ou la Souabe. Le vieux traducteur allemand ne cherche pas, du reste, à cacher qu’il traduit et que l’original de son poëme est français. Mais, par malheur, il l’avait d’abord traduit en latin. Le latin prête à la religiosité. Un clerc, faisant passer en latin notre vieille Chanson, devait de toute nécessité lui donner je ne sais quel air religieux, quelle tournure mystique. C’est, en effet, ce qui arriva. Et tel est le caractère dominant du Ruolandes Liet. Le curé Conrad s’est bien gardé de rien changer à la lettre du modèle qu’il avait sous les yeux, et qui se rapprochait beaucoup de notre texte d’Oxford ; mais il s’est donné toute liberté quant à l’esprit. Il débute par une belle invocation « à Dieu très-puissant et très-bon »[3], et, dans tout le cours de la Chanson, il christianise tout ce qu’il touche. Ce n’est pas, sans doute, la petite dévotion superstitieuse et étroite de la chronique de Turpin ; non, c’est la large, forte et mystique piété allemande. La beauté est absente de l’œuvre apocryphe du faux Turpin, mais non pas

  1. Le Ruolandes Liet a été publié en 1838, à Gœttingue, par W. Grimm, in-8o.
  2. G. Paris, Histoire poétique de Charlemagne, p. 121.
  3. « Créateur de toutes choses, Empereur de tous les rois, Maître souverain, apprends-moi toi-même la parole ; envoie à ma bouche ta sainte science pour que j’évite le mensonge et que je n’écrive que la vérité. Je veux dire comment Charles, l’Empereur, conquit le royaume de Dieu. » (Ruolandes Liet, vers 1-11.)