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Page:Gautier - La Chanson de Roland - 1.djvu/169

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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

chef-d’œuvre, sans doute ; mais, n’était-ce pas alors une action rare et méritoire que d’appeler l’attention publique sur la Chevalerie, ses lois et ses rites, à l’occasion de ces pauvres romans italiens dont on ne connaissait pas encore les originaux, les modèles français ? Donc, le livre de Ferrario eut un grand retentissement, et nous sommes joyeux de le constater. Un érudit français en saisit toute l’importance et lui consacra, dans le Journal des Savants, un de ces articles plus influents que bien des volumes[1]. Or, cet érudit courageux était celui-là même qui avait ressuscité ou plutôt créé, non-seulement en France mais en Europe, la science de la littérature provençale ; c’était le grand Raynouard, que l’imperfection de sa science ne nous empêchera jamais d’admirer comme un des pères de l’érudition française et même allemande. Cependant l’Allemagne nous donnait l’exemple en publiant quelques fragments d’une chanson française consacrée à la jeunesse de Roland : Imm. Bekker insérait, à la suite de son Fierabras[2], des extraits de notre Aspremont. Le peuple d’outre-Rhin n’avait pas d’ailleurs oublié notre grand héros national, et les Contes de Musœus[3] ne faisaient que consacrer cette popularité de vieille date dans la légende intitulée : Les Écuyers de Roland. Malgré tout, c’étaient encore les imitations allemandes de notre Roland qui exerçaient le plus vivement la patience et la pénétration des érudits germaniques. H. Hoffmann étudiait encore, en 1830, le Ruolandes Liet et le Stricker[4]. De notre vieux poëme, rien. C’est à ce moment que la France enfin s’éveilla[5]. Deux esprits prime-sautiers, hardis, et qui devaient un jour devenir plus

  1. Raynouard, Journal des savants, de novembre 1830.
  2. Der Roman von Fierabras provenzalisch herausgegeben von Imm. Bekker. Berlin, 1829, in-4o.
  3. Contes de Musœus, édition française de Moutardier, en 1826.
  4. Fundgruben für Geschichte deutscher Sprache und Litteratur. Breslau, 1830, tome I, pp. 211-212.
  5. Bien qu’il n’y ait aucune vue sur notre Roland dans le Cours de littérature française de M. Villemain (Littérature du moyen âge, 1re édition, Paris, 1830, 2 vol. in-8o, on ne saurait oublier que l’on doit à ce livre très-imparfait un goût plus vif pour notre ancienne poésie.