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Page:Gautier - La Chanson de Roland - 1.djvu/17

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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

Les deux Émirs se plaignaient vivement du kalife Abd-el-Raman, qui avait été chassé d’Afrique et s’était réfugié en Espagne pour y fonder la seconde dynastie des Ommiades. Or, il se trouvait que Charles n’avait alors rien à faire : la Saxe était tranquille et l’Italie ne l’inquiétait pas. Traverser les Pyrénées, étendre les limites du nom chrétien, éloigner ces musulmans qui faisaient du prosélytisme à coups de sabre et ne se lassaient point d’envahir tant qu’il y avait de la terre devant eux : cette belle entreprise tenta la grande âme du roi frank. Il partit au cœur de l’hiver, n’étant pas homme à laisser perdre une bonne occasion. Deux armées chrétiennes franchirent les Pyrénées, l’une à l’Occident, l’autre à l’Est ; leur rendez-vous était sous les murs de Saragosse. Charles s’empara de Pampelune ; mais il semble, suivant les historiens arabes, qu’il échoua devant Saragosse et que cette ville ne lui ouvrit pas ses portes comme Soleyman-Ebn-Jaktan-Alarabi le lui avait promis. Le Roi ne s’étant point préparé aux longueurs d’un siége, il n’y avait plus rien à tenter dans l’Espagne, qui d’ailleurs était conquise jusqu’à l’Èbre. Charles donna le signal de la retraite. C’est ici que se place l’épouvantable catastrophe dont Éginhard n’a pu dissimuler toute la gravité, et qui devint aisément le centre de notre Épopée...

Il faut ici se représenter la grande armée franke serpentant dans les défilés des Pyrénées et descendant vers la Gascogne. Que le peintre s’imagine la variété merveilleuse des costumes militaires de cette époque, les uns tout germains et barbares, et les autres qui gardent encore quelque reste de l’armure romaine. La Grande Armée s’avance, Charles en tête : elle passe..., elle est passée. C’est le tour de l’arrière-garde, où l’on voit toute l’élite de la cour germaine de Charles, le comte du palais Anselme ; Eggihard, le « prévôt de la table royale » ; Roland, le préfet des Marches de Bretagne, et cent autres. Ils marchaient sans défiance, se disant sans doute qu’une guerre venait de s’achever, et que, jusqu’à la prochaine expédition, ils auraient quelques jours de repos. Ils arrivaient à ce lieu de la montagne qu’indique aujourd’hui la petite chapelle d’Iba-