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Page:Gautier - La Chanson de Roland - 1.djvu/181

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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

qui sont justes. Quelle est donc la qualité d’ordre supérieur qui pourra racheter tous ces défauts ? L’enthousiasme, la foi. M. Génin a cru à Roland ; il s’est passionné pour la beauté de cette Iliade dédaignée ; il a aimé le vieux poëme ; il a voulu qu’on l’aimât ; il a été dévoré de la belle folie du prosélytisme. Voilà ce qui communique tant de chaleur à sa Préface, tant de charme à ses notes, tant de vie à sa traduction. Ajoutez à cela que Génin était Français jusqu’au bout des ongles, que sa pensée était nette, que son style était clair. Il n’en fallait pas tant pour émouvoir les esprits. Une polémique très-vive s’engagea sur-le-champ. MM. Guessard[1], P. Paris[2] et Magnin[3] y prirent une part active. Il se fit une grande dépense d’esprit, mais plus encore d’enthousiasme et d’amour. Un second vulgarisateur parut alors, qui voulut condenser le travail de Génin. L’excellente analyse de M. Vitet peut passer à bon droit pour une traduction : la Revue des Deux Mondes, qui la publia, fit connaître Roland dans l’univers entier[4]. Que dis-je ? connaître. Jusque-là notre chanson n’avait été que connue[5] : désormais elle fut aimée.

Le livre de Génin ne clôt pas cette période de vulgarisation dont nous écrivons l’histoire. La science de nos Épopées se glissa

  1. Lettre sur les variantes de la Chanson de Roland, adressée d’Oxford, le 30 avril 1851, à M. Léon de Bastard, par Fr. Guessard, p. 16, in-8o. ═ Il paraît bien démontré que Génin n’a jamais vu de ses yeux le texte d’Oxford.
  2. La Chanson de Roland, Critique de l’édition de M. F. Génin, par P. Paris. (Bibliothèque de l’École des Chartes, C. ii, pp. 287 et 393.)
  3. Journal des Savants, septembre et décembre 1852 (pp. 541 et 766) et mars 1853. La presse hebdomadaire et quotidienne se mêla aussi à cette lutte. (V. l’Illustration du 19 avril 1851, pp. 250, 251, et du 2 août de la même année, p. 70 ; la République du 11 avril 1851, l’Univers, etc.)
  4. No du 1er juin 1852. L’analyse de M. Vitet fut résumée dans l’Histoire de France de Bordier et Charton. ═ V. le mot Roland aux Tables du Magasin Pittoresque.
  5. C’est en 1851 que parut la première édition du Roland de M. Th. Müller : La Chanson de Roland berichtigt und mit einem Glossar versehen nebst Beiträgen zur Geschichte der französischen Sprache, von Dr Th. Müller, Assessor der philosophischen Facultät zu Göttingen (erste Abtheilung). Göttingen, Verlag der Dieterich’schen Buchhandlung, 1851, in-8o.