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Page:Gautier - La Chanson de Roland - 1.djvu/233

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LA CHANSON DE ROLAND

Il rejette de son cou ses grandes peaux de martre,
Et reste avec son seul bliaut de soie.
Il a les yeux vairs ; sur son visage éclate la fierté ;
Son corps est tout gracieux, larges sont ses côtés...
Ses pairs ne le peuvent quitter des yeux, tant il est beau.
« Fou, dit-il à Roland, pourquoi cette rage ?
« On le sait assez que je suis ton beau-père.
« Ainsi tu m’as condamné à aller vers Marsile ?
« C’est bien ; mais, si Dieu permet que j’en revienne,
« Je te poursuivrai d’une telle haine,
« Qu’elle durera autant que ta vie.
« — Orgueil et folie, répond Roland.
« On sait trop bien que je ne prends nul souci des menaces.
« Mais, pour un tel message, il faut un homme sage,
« Et, si le Roi le veut, je suis prêt à le faire en votre place. »


XXI


« — Tu n’iras point à ma place, dit Ganelon ;
« Tu n’es pas mon vassal, et je ne suis pas ton seigneur.
« Charles ordonne que je fasse son service :
« J’irai donc à Saragosse, vers Marsile.
« Mais j’y ferai quelque félonie,
« Pour soulager la grande colère qui m’oppresse. »
Lorsque Roland l’entend, il commence à rire.


XXII


Quand Ganelon voit que Roland rit de lui,
Il en a telle douleur, que, de colère, son cœur est tout près de se fendre.
Peu s’en faut qu’il n’en perde le sens :
« Je ne vous aime pas, dit-il au comte Roland ;
« Car c’est vous qui avez fait tomber sur moi le choix des Français.