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Page:Gautier - Poésies de Th. Gautier qui ne figureront pas dans ses œuvres.djvu/13

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AUTOBIOGRAPHIE

égal que rien ne put vaincre. La brutalité et la turbulence de mes petits compagnons de bagne me faisaient horreur. Je mourais de froid, d’ennui et d’isolement entre ces grands murs tristes, où, sous prétexte de me briser à la vie de collège, un immonde chien de cour s’était fait mon bourreau. Je conçus pour lui une haine qui n’est pas éteinte encore. S’il m’apparaissait reconnaissable après ce long espace de temps, je lui sauterais à la gorge et je l’étranglerais. Toutes les provisions que ma mère m’apportait restaient empilées dans mes poches et y moisissaient. Quant à la nourriture du réfectoire, mon estomac ne pouvait la supporter ; je dépérissais si visiblement que le proviseur s’en alarma : j’étais là-dedans comme une hirondelle prise qui ne veut plus manger et meurt. On était du reste très-content de mon travail, et je promettais un brillant élève si je vivais. Il fallut me retirer et j’achevai le reste de mes études à Charlemagne, en qualité d’externe libre, titre dont j’étais entièrement fier, et que j’avais soin d’écrire en grosses lettres au coin de ma copie.

Mon père me servait de répétiteur, et c’est lui qui fut en réalité mon seul maître. Si j’ai quelque instruction et quelque talent, c’est à lui que je les dois. Je fus assez bon élève, mais avec des curiosités bizarres, qui ne plaisaient pas toujours aux professeurs. Je traitais les sujets de vers latins dans tous les mètres imaginables, et je me plaisais à imiter les styles qu’au collège on appelle de décadence. J’étais souvent taxé de barbarie et d’africanisme, et j’en étais charmé comme d’un compliment. Je fis peu d’amis sur les bancs, excepté