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Page:Gautier - Poésies de Th. Gautier qui ne figureront pas dans ses œuvres.djvu/16

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Hugo était alors dans toute sa gloire et son triomphe. Admis devant le Jupiter romantique, je ne sus pas même dire comme Henri Heine devant Goëthe :

« Que les prunes étaient bonnes pour la soif sur le chemin d’Iéna à Weimar. »

Mais les dieux et les rois ne dédaignent pas ces effarements de timidité admirative. Ils aiment assez qu’on s’évanouisse devant eux. Hugo daigna sourire et m’adresser quelques paroles encourageantes. C’était à l’époque des répétitions d’Hernani. Gérard et Pétrus se portèrent mes garants, et je reçus un de ces billets rouges marqués avec une griffe de la fière devise espagnole hierro (fer). On pensait que la représentation serait tumultueuse, et il fallait des jeunes gens enthousiastes pour soutenir la pièce. Les haines entre classiques et romantiques étaient aussi vives que celles des guelfes et des gibelins, des gluckistes et des piccinistes. Le succès fut éclatant comme un orage, avec sifflement des vents, éclairs, pluie et foudre. Toute une salle soulevée par l’admiration frénétique des uns et la colère opiniâtre des autres ! Ce fut à cette représentation que je vis pour la première fois Mme Émile de Girardin, vêtue de bleu, les cheveux roulés en longue spirale d’or comme dans le portrait d’Hersent. Elle applaudissait le poète pour son génie, on l’applaudit pour sa beauté. À dater de là, je fus considéré comme un chaud noéphyte, et j’obtins le commandement d’une petite escouade à qui je distribuais des billets rouges. On a dit et imprimé qu’aux batailles d’Hernani j’assommais les bourgeois récalcitrants avec mes poings énormes. Ce n’était pas