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Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/100

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taques. Les toreros se tenaient sur leurs gardes, redoutant quelque accident, et Dominguez avait déjà porté à la terrible bête une estocade de vuela-pies, lorsqu’un coup de corne aussi rapide que la foudre le souleva de terre, et, pénétrant sa culotte de soie à la hauteur de l’aine, le tint suspendu quelques secondes longues comme des siècles. Chulos, banderillos, se précipitèrent sur le taureau, le tirèrent par la queue, le saisirent par la corne restée libre, au risque de se faire embrocher, et délivrèrent leur chef de cette situation horrible. — Une angoisse affreuse opprimait toutes les poitrines ; mais l’homme qu’on croyait mort se releva avec un mouvement d’une fierté superbe, reprit son épée, et, en dépit des spectateurs, qui lui criaient de toutes parts de se retirer, marcha intrépidement contre le monstre, qu’il tua, après quelques passes, d’un magnifique coup d’épée : l’homme s’était vengé de la bête ; la force morale l’avait emporté sur la force brutale ; l’âme avait vaincu la matière ! La tête basanée et pâle de Dominguez en ce moment suprême resplendissait d’une beauté héroïque : la volonté, le courage, l’orgueil, le stoïcisme y brillaient d’un éclat sublime. Lorsque la bête eut roulé à ses pieds comme reconnaissant la supériorité humaine, Dominguez se retira à pas