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Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/235

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machinalement sur le coussin de notre voiture un paletot absent, et pourtant cette femme était belle comme est belle une Anglaise réussie. — Jamais cygne plus blanc ne lissa son duvet de neige sur le lac de Virginia-Water dans les féeriques gravures des keepsake ; c’était une de ces créatures idéales et vaporeuses dans sa grâce, un peu longues comme Lawrence en peint, comme Westall en dessine : col mince et flexible, cheveux d’or aux spirales allongées, pleurant comme des branches de saule autour d’un visage pétri de coldcream et de rose ; cils brillants comme des fils de soie sur des prunelles d’un vague azur. En regardant cette ombre transparente, qui digérait peut-être un large rumpsteack saupoudré de poivre de Cayenne, arrosé de sherry, on ne pouvait s’empêcher de penser à Cymbeline, à Perdita, à Cordelia, à Miranda, à toutes les poétiques héroïnes de Shakspeare. Deux adorables babys, un petit garçon fier et rêveur comme le portrait du jeune Lambton, une petite fille échappée sans doute du cadre de Reynolds où les enfants de lady Londonderry sont représentés cravatés d’ailes en manière de chérubin sur un fond de ciel bleu, occupaient le devant de la voiture et jouaient gravement avec les oreilles d’un king’s-charles aussi pur de race