Aller au contenu

Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une femme seule, et du plus grand air, avait paru aux Caschines, allongée dans le fond d’une calèche brune, drapée d’un grand châle de crêpe de chine blanc dont les franges lui venaient presque jusqu’aux pieds, coiffée d’un chapeau parisien signé madame Royer en toutes lettres, et qui faisait une fraîche auréole à son profil pur et fin, découpé comme un camée antique, et contrastant par son type grec avec cette élégance toute moderne et cette tenue presque anglaise à force de distinction froide. Son cou bleuâtre, tant il était blanc, le rose uni de sa joue, son œil d’un bleu clair semblaient la désigner pour une beauté du Nord ; mais l’étincelle de cet œil de saphir était si vive, qu’il fallait qu’elle eût été allumée à quelque ciel méridional ; ses cheveux, soulevés en bandeaux crêpelés, avaient ces tons brunis et cette force vivace qui caractérisent les blondes des pays chauds ; l’un de ses bras était noyé dans les plis du châle, comme celui de la Mnémosyne, l’autre, coupé par un bracelet d’un effet tranchant, sortait demi-nu du flot de dentelle d’une manche à sabot, et faisait badiner contre la joue, du bout d’une petite main gantée, un camellia d’un pourpre foncé, avec un geste de distraction rêveur évidemment habituel : était-elle Anglaise, Italienne ou Française ? C’est ce que nul ne put ré-