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Page:Gautier - Quand on voyage.djvu/276

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de bataille de titans écrasés sous les rochers qu’ils entassaient pour escalader le ciel et que fit écrouler la foudre. De larges vallées pierreuses, tachetées à peine de quelques maigres bruyères, s’étendaient à perte de vue et formaient des perspectives d’une tristesse navrante et grandiose. Tout le sol était mamelonné de ces granits d’un gris bleuâtre perçant l’épiderme de la terre ou roulés çà et là comme des blocs erratiques. On n’y sentait nulle part la présence de l’homme, et l’aspect de planète, que les cultures font perdre à notre globe, s’y retrouvait dans toute sa sauvagerie primitive. Les paysages de la lune, comme on se les figure d’après le télescope, doivent avoir ce caractère. Nous ne conseillons pas le voyage aux mortels idylliques qui aiment les coteaux, les bosquets, les ruisseaux, la fraîcheur, l’ombre et la verdure. Il n’y a pas le plus petit coin fleuri pour placer un rêve voluptueux ; mais quel site pour un anachorète abîmé dans la contemplation de l’infini ! et que M. Penguilly-L’Haridon, le peintre des pierres, serait heureux dans cette aridité rocailleuse !

Tout à coup, au bas d’une montagne violette toute mordorée de soleil, l’Escurial montra sa lourde coupole assise entre quatre clochetons. Ses murs d’un gris jaunâtre profilaient leurs angles maussades avec le même