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Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/130

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était réalisé et vous ne vous doutiez même pas de ma présence ! Vous auriez dû, ce me semblait, ressentir un frisson sympathique, vous retourner, chercher lentement dans la salle la cause de cette commotion secrète, arrêter votre regard sur ma loge, porter la main à votre cœur et tomber en extase. Un héros de roman n’y eût pas manqué ; mais vous n’étiez pas un héros de roman.

Mon père, retenu par un grand dîner, ne vint qu’au milieu du second acte, et, vous apercevant à l’orchestre, il dit : « Guy de Malivert est là ; je ne savais pas qu’il fût revenu d’Espagne. Ce voyage nous vaudra force combats de taureaux dans la Revue, car Guy est un peu barbare. » Cela me faisait plaisir d’entendre votre nom prononcé par des lèvres paternelles. Vous n’étiez pas un inconnu dans ma famille. Un rapprochement était possible, facile même. Cette idée me consola un peu de l’insuccès de ma soirée. La représentation s’acheva sans autre incident que les pluies de bouquets, les rappels et les ovations de la Patti. En attendant sous le vestibule que le laquais vînt annoncer la voiture, je vous vis passer avec un ami et tirer un cigare d’un étui de fine sparterie de Manille. Le désir de fumer vous rendait insensible à cette exhibition de beautés et de laideurs, il faut le dire, étagées sur les dernières marches de l’escalier. Vous vous faufiliez à travers cet amas d’étoffes sans trop de souci de les froisser,