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Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/133

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précieusement au fond de mon âme ce premier dessein, ce croquis léger, mais ineffaçable, de l’être qui devait exercer tant d’influence sur moi, comme on conserve une miniature du jeune âge à côté du portrait actuel. Mes rêves ne vous avaient pas nui, et je ne fus pas obligée, en vous revoyant, de vous dépouiller d’un manteau de perfections fantastiques.

Je songeais à tout cela, pelotonnée dans mon lit et regardant trembloter le reflet de la veilleuse sur les roses bleues du tapis, en attendant le sommeil qui ne venait pas, mais qui descendit vers le matin sur mes yeux, mêlé de songes sans suite et de vagues harmonies.

À quelques semaines de là, nous reçûmes une invitation pour un grand bal que donnait la duchesse de G… C’est une importante affaire pour une jeune fille qu’un premier bal. La chose prenait pour moi d’autant plus d’intérêt qu’il était probable que vous assisteriez à cette fête, car la duchesse était fort de vos amies. Les bals sont nos batailles, perdues ou gagnées. C’est là que la jeune fille, sortie des ombres du gynécée, brille de tout son éclat. L’usage, pendant ce court espace de temps, lui donne, sous prétexte de danse, une sorte de liberté relative, et le bal est pour elle un foyer de l’Opéra où les dominos ont le visage découvert. Une invitation à un quadrille, à une mazourka, permet de l’approcher et