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Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/148

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cette félicité suprême et rare d’être uni, dès cette terre, à l’âme faite pour son âme. À la façon dont il adorait l’ombre, il comprenait quelle passion la femme lui eût inspirée. Mais bientôt ses idées prirent un autre cours : il cessa de récriminer contre lui-même et se reprocha ces vulgaires doléances. Qu’avait-il perdu, puisque Spirite avait conservé son amour au delà du tombeau et s’arrachait des profondeurs de l’infini pour descendre, jusqu’à la sphère habitée par lui ? La passion qu’il éprouvait n’était-elle pas plus noble, plus poétique, plus éthérée, plus rapprochée de l’éternel amour, dégagée ainsi de toute contingence terrestre, ayant pour objet une beauté idéalisée par la mort ? L’union humaine la plus parfaite n’a-t-elle pas ses lassitudes, ses satiétés et ses ennuis ? L’œil le plus ébloui voit, au bout de quelques années, les charmes adorés pâlir ; l’âme se fait moins visible à travers la chair flétrie, et l’amour étonné cherche son idole disparue.

Ces réflexions et le train ordinaire de la vie avec ses exigences, auxquelles ne peuvent se soustraire les rêveurs les plus enthousiastes, conduisirent Malivert jusqu’au soir qu’il attendait impatiemment. Quand il se fut enfermé dans son cabinet et assis près de la table comme la veille en posture d’écrire, la petite main blanche, fluette, veinée de bleu, reparut faisant signe à Malivert de prendre la plume. Il obéit, et ses doigts com-