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Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/190

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que si son intérêt l’exige, et le secret de Malivert ne fut pas soupçonné.

Le soir de la visite au cimetière, qui lui avait appris le nom terrestre de Spirite, attendant une manifestation qu’appelaient toutes les forces de sa volonté, il entendit, comme des gouttes de pluie tombant dans un bassin d’argent, résonner une gamme sur le piano. Il n’y avait personne, mais ces prodiges n’étonnaient plus Malivert. Quelques accords furent plaqués de manière à commander l’attention et éveiller la curiosité de l’âme. Guy regarda vers le piano, et peu à peu s’ébaucha dans une vapeur lumineuse l’ombre charmante d’une jeune fille. L’image était d’abord si transparente, que les objets placés derrière elle se dessinaient à travers les contours, comme on voit le fond d’un lac à travers une eau limpide. Sans prendre aucune matérialité, elle se condensa ensuite suffisamment pour avoir l’apparence d’une figure vivante, mais d’une vie si légère, si impalpable, si aérienne, qu’elle ressemblait plutôt au reflet d’un corps dans une glace qu’à ce corps lui-même. Certaines esquisses de Prud’hon à peine frottées, aux contours noyés et perdus, baignées de clair-obscur et comme entourées d’une brume crépusculaire, dont les draperies blanches semblent faites avec des rayons de lune, peuvent donner une idée lointaine de la gracieuse apparition assise devant le piano de Malivert. Ses doigts, d’une