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Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/224

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bateau à vapeur dans sa large ondulation avait lavé les flancs des vaisseaux « aux flancs creux » dont parle Homère, et il ne lui en restait aucune trace. Son eau avait précisément le ton qui la colorait lorsque la flotte des Grecs la sillonnait. Dans sa fierté, la mer ne garde pas comme la terre les cicatrices du passage de l’homme. Elle est vague, immense et profonde comme l’infini. Aussi, jamais Malivert ne se sentait plus joyeux, plus libre, plus en possession de lui-même que lorsque, debout à la proue d’un navire s’élevant, s’abaissant, il s’avançait dans l’inconnu. Mouillé par la lanière d’écume rejaillissant sur le pont, les cheveux imprégnés de la vapeur saline, il lui semblait qu’il marchait sur les eaux, et, comme un cavalier s’identifie avec la vitesse de sa monture, il s’attribuait la rapidité du vaisseau, et sa pensée bondissait au-devant des vagues.

Près de Malivert, Spirite était descendue sans bruit, comme une plume ou un flocon ne neige, et sa main s’appuyait à l’épaule du jeune homme. Quoique Spirite fût invisible pour tout le monde, il est permis de se figurer le groupe charmant que formaient Malivert et son aérienne amie. La lune s’était levée, large et claire, pâlissant les étoiles, et la nuit était devenue une espèce de jour bleu, un jour de grotte d’azur, d’un ton vraiment magique. Un rayon dessinait à la proue du navire cet Amour et cette Psyché brillant dans le