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Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/35

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lui penché sur l’abîme du mysticisme, et pour le moins aussi occupé de l’autre monde que celui-ci. Le caractère de sa tête était étrange. Ses cheveux blonds tombant en mèches presque droites paraissaient plus clairs que sa peau, et sa moustache était d’un or si pâle qu’on eût dit de l’argent. Il y avait dans ses yeux d’un gris bleuâtre une expression indéfinissable, et leur regard, ordinairement à demi voilé par de longs cils blanchâtres, dardait parfois une flamme aiguë et semblait voir au delà de la portée humaine. Du reste, le baron de Féroë était trop parfait gentleman pour affecter la moindre excentricité ; ses façons étaient unies et froides, d’une correction anglaise, et il ne prenait pas devant les glaces des airs d’illuminé. Ce soir-là, comme au sortir du thé de Mme d’Ymbercourt il devait aller au bal de l’ambassade d’Autriche, il était en grande tenue, et sur son habit noir, dont le revers cachait à moitié la plaque d’un ordre étranger, brillaient, suspendues à une fine chaînette d’or, les croix de l’Éléphant et de Danebrog, le mérite de Prusse, l’ordre de Saint-Alexandre Newsky, et autres décorations des cours du Nord qui prouvaient ses services diplomatiques.

C’était vraiment un homme singulier que le baron de Féroë, mais d’une singularité qui ne frappait pas tout d’abord, tellement elle était enveloppé de flegme diplomatique. On le voyait souvent dans le monde, aux réceptions officielles,