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Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/59

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monde. Quelques rares obstinés qui, par hygiène, font de l’exercice en toute saison et pratiquent des trous dans la glace des rivières pour s’y baigner, revenaient du Bois le nez bleu et les joues violettes, montés sur des chevaux garantis par des genouillères. Deux ou trois d’entre eux firent de la main un signe amical à Guy, qui reçut même, quoiqu’il fût à pied, un gracieux sourire d’une des célébrités du monde interlope étalant en voiture découverte le faste de fourrures conquises sur la Russie.

« Comme je suis à moi tout seul le public, on se dispute mon suffrage, pensa Malivert : Cora ne m’aurait pas adressé un pareil salut en été. Mais que diable suis-je venu faire ici ? Ce n’est pas la saison de dîner sous la tonnelle, au Moulin-Rouge, avec Marco ou la baronne d’Ange, et d’ailleurs je suis en disposition peu folâtre ; pourtant il est l’heure de songer, comme dit Rabelais, à la réparation de dessous le nez. Voilà le soleil qui se couche derrière l’arc de l’Étoile. »

En effet, l’arc de cette porte immense, qui s’ouvre sur le ciel, encadrait un tableau de nuages bizarrement amoncelés et bordés sur le contour de leur silhouette d’une écume de lumière. Le vent du soir imprimait à ces formes flottantes un léger tremblement qui leur prêtait une sorte de vie, et comme dans ces illustrations de Gustave Doré où les rêveries qui hantent le cerveau du personnage se reflètent sur les nuées montrant au