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Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/82

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Si la passion de Guy pour Spirite semble bien soudaine, il faut songer que l’amour naît souvent d’un coup d’œil, et qu’une femme lorgnée de loin au théâtre dans une loge ne diffère pas beaucoup d’un reflet d’âme aperçu dans un miroir, et que bien des passions sérieuses n’ont pas eu d’autres débuts ; d’ailleurs, à l’insu de Guy, cet amour était moins subit qu’il n’en avait l’air. Depuis longtemps Spirite tournait dans l’atmosphère de Guy, préparant, sans qu’il s’en doutât, son âme à des communications surnaturelles, lui suggérant à travers sa frivolité mondaine des pensées allant plus loin que les vaines apparences, lui créant des nostalgies d’idéal par de confus souvenirs de mondes supérieurs, le détournant des vaines amours, et lui faisant pressentir un bonheur que la terre ne pouvait lui donner. C’était elle qui avait brisé autour de Malivert tous les fils tendus, tous les commencements de toiles ourdies ; qui lui révélait le ridicule ou la perfidie de telle ou telle maîtresse passagère, et jusqu’à ce jour lui avait gardé l’âme libre d’engagement indissoluble. Elle l’avait arrêté sur le bord de l’irrémissible, car l’existence de Guy, quoiqu’il ne s’y fût produit aucun événement d’une signification appréciable au point de vue humain, touchait à un moment décisif ; les balances mystérieuses pesaient son sort : c’est ce qui avait déterminé Spirite à sortir de l’ombre où s’enveloppait sa protection secrète et