Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/91

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avaient suffisamment épaissi la glace pour qu’elle pût porter le poids de cette foule. La neige, balayée et relevée sur les bords, laissait voir la surface noirâtre et polie, rayée en tous sens par le tranchant des patins, comme ces miroirs de restaurateurs où les couples amoureux griffonnent leurs noms avec des carrés de diamants. Près de la rive se tenaient des loueurs de patins à l’usage des amateurs bourgeois, dont les chutes servaient d’intermèdes comiques à cette fête d’hiver, à ce ballet du Prophète exécuté en grand. Dans le milieu du lac, les célébrités du patin, en svelte costume, se livraient à leurs prouesses. Ils filaient comme l’éclair, changeaient brusquement de route, évitaient les chocs, s’arrêtaient soudain en faisant mordre le talon de la lame, décrivaient des courbes, des spirales, des huit, dessinaient des lettres comme ces cavaliers arabes qui, avec la pointe de l’éperon, écrivent à rebrousse-poil le nom d’Allah sur le flanc de leur monture. D’autres poussaient, dans de légers traîneaux fantasquement ornés, de belles dames emmaillottées de fourrures, qui se renversaient et leur souriaient, ivres de rapidité et de froid. Ceux-ci guidaient par le bout du doigt quelque jeune élégante, coiffée d’un bonnet à la russe ou à la hongroise, en veste à brandebourgs et à soutaches bordées de renard bleu, en jupes de couleurs voyantes retroussées à demi par des agrafes, en mignonnes bottes ver-