Aller au contenu

Page:Gautier - Tableaux de Siége.djvu/102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

niers, mais nous y reviendrons tout à l’heure.

Quand nous eûmes tourné le coin du restaurant, un horizon que nous ne connaissions pas se développa subitement devant nos yeux et nous causa la plus profonde surprise. Une immense zone s’étalait à perte de vue hérissée de fûts semblables à des colonnes tronquées ; on aurait dit un de ces cimetières d’Orient où la place de chaque tombe est marquée par un pieu en marbre ; c’était, moins les cyprès gigantesques, l’image exacte du champ des Morts d’Eyoub ou de Scutari. Nous n’étions cependant pas à Constantinople, mais bien à la porte Maillot ; de vagues fumées bleuâtres, de légères traînées de brume rampant sur le sol et enlevées par le vent favorisaient encore l’illusion. Ces colonnes étaient les troncs d’arbre, coupés à trois pieds de terre, du pauvre bois de Boulogne et non des tombes de Turcs. Ce vaste abatis dégageait au loin des constructions ordinairement cachées derrière les feuillages et qui apparaissaient comme des blocs erratiques dans la plaine dénudée. C’était d’une désolation navrante, mais non sans beauté. Cet horizon sévère eût charmé un peintre.