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Page:Gautier - Tableaux de Siége.djvu/342

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Le feu n’a rien épargné. Il s’est promené partout en vainqueur, dévorant, calcinant ce qu’il laissait debout, et, guidé dans son aveugle fureur par une infernale volonté. Des démons à l’œuvre n’auraient pas mieux fait. Du côté de la place de Grève, l’élégante façade que dominait naguère le svelte campanile caractéristique des hôtels de ville se développait lamentablement démantelée, lézardée, trouée à jour, découpant sur le ciel les angles de ses brèches, colorée de tons étranges par la palette ardente de l’incendie. Sur la façade, les statues des savants, des artistes, des magistrats, des édiles, des personnages célèbres, l’honneur et l’ornement de la Cité, se tordaient avec des poses convulsives comme, sur le quemadero d’une vieille ville espagnole, les victimes d’un immense auto-da-fé. Brûler le génie, brûler la gloire, brûler la vertu, brûler l’honneur, en effigie du moins, quelle joie satanique, quelle jouissance atroce pour ces âmes perverses ! Heureusement on ne peut mettre le feu à l’histoire avec un jet de pétrole. Le Présent, dans ses fureurs, ne peut supprimer le Passé irrévocable. C’était pitié de voir ces pauvres grands hommes manchots, boiteux, décapités, coupés en deux,