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Page:Geniaux - Les Ames en peine.djvu/18

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devenu pilotin sur « Le Fraternel » et accepté à l’école d’hydrographie, fut promu maître au cabotage. Bientôt son cadet, Julien, obtiendrait le même grade.

Trois fois les frères Buanic revinrent à Ploudaniou, en congé. Avant leur quatrième départ, Jean reçut sa nomination comme second capitaine à bord du trois-mâts charbonnier « Rosa-Mystica » de Saint-Nazaire ; son frère devait tenir l’emploi de maître d’équipage. Leur ordre d’embarquement les obligeait à partir le surlendemain. Les épousailles furent donc remises à l’automne suivant.

Hélas ! dans quelles conditions les fils Buanic devaient-ils rentrer, cette fois, à leur village ? En naufragés, accusés du crime d’avoir laissé périr un équipage de onze hommes, tous natifs de Ploudaniou.

La tête passée par une fenêtre de sa longue chaumière à toiture de roseaux, Job regarda vers la route bleue qui sinuait à travers les rocs de granit en forme d’alligators, d’éléphants et de tortues.

— Eh bien ? demanda Maharit, ses lunettes de corne posées sur son long nez coulant.

— Je n’aperçois pas nos fils, fit le sabotier anxieux.

— Des fois, penses-tu que des mauvais gas les auraient attaqués ? reprit la paysanne.

Son vieux mari ne broncha point. Ses yeux pâles fixés sur la pointe de Ploudaniou, il grommela :

— Ah ! voici « L’Autarchiste » qui rentre. Pour être sorti ce jour de Toussaint, il faut être des païens. Ah ! ces sardiniers !

Deux voilures sang de bœuf oscillaient à leurs mâts.

— Dieu châtie ce bateau ! gronda Maharit.

— C’est l’embarcation de ce Gurbal Lanvern qui nous poursuit de sa rage parce qu’il ne peut arriver à lasser ses filles de nos garçons ! Je me fais de plus en plus de méchantes imaginations depuis que ces canailles de pêcheurs ont menacé de les envoyer quelque nuit par-dessus la falaise, rejoindre les corps des pauvres gens de la « Rosa-Mystica ». Bonté du Christ ! comme s’il y avait quelque justice à reprocher à nos braves garçons de respirer l’air… Il faut allumer la chandelle de résine. Fiche-la dans ce vieux sabot de l’âtre. Maharit. Je n’y vois plus.

Mains jointes levées vers l’image d’un Saint-Gildas