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Page:Geniaux - Les Ames en peine.djvu/5

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L’allée centrale partageait l’assistance : à gauche, les femmes en manteaux de deuil que leurs vastes capuchons obscurs faisaient ressembler à des menhirs ; à droite, les hommes, debout, hérissés, l’air terrible, bras croisés, observant les gestes du prêtre chargé d’assurer la paix des âmes, à défaut de l’immobilité des corps, éternellement balancés dans les grands fonds.

Par le porche entr’ouvert, la rumeur plaintive de l’Atlantique s’associait à la désolation de l’assistance. Retourné vers le catafalque aux draperies semées de larmes d’argent, le vieux recteur, mains levées, commença de psalmodier le Libera :

« Délivrez-les, Seigneur, de la mort éternelle en ce jour terrible. »

… Hélas ! hélas ! songeaient les veuves et les fils, les pères et les mères des noyés, la mort ne les a-t-elle pas surpris en état de péché mortel et seront-ils jamais délivrés ? Et s’ils ne peuvent pas obtenir la paix, leurs âmes tourmentées ne vont-elles pas revenir nous crier miséricorde ?

Ainsi pensaient-ils avec une sorte de haine pour la mer coupable d’avoir jeté leurs maris et leurs fils dans le séjour affreux des damnés, lorsque le prêtre, incliné devant la fausse châsse qu’il aspergeait d’eau bénite, prononça :

« Que Dieu vous reçoive en sa grâce, capitaine Bourhis, Jean Buanic, Julien Buanic !… »

À ce moment, le curé, les prunelles écarquillées, laissa tomber son goupillon et tendit les bras vers le porche ouvert sur le cimetière, dont on voyait, par-dessus le mur d’enceinte, l’océan haleter aux derniers sursauts de l’ouragan.

— Seigneur qui pouvez tout, quel miracle est-ce là ? s’exclama le recteur sur le ton de la plus vive surprise.

S’étant retournée afin de s’expliquer l’émotion de l’officiant, la foule des endeuillés cria de terreur et de stupéfaction.

« Délivrez-les de la mort éternelle, Seigneur, avait invoqué le prêtre, et voici, qu’à sa prière exaucée, des naufragés de la « Rosa-Mystica », remontés de leur horrible abîme, reparaissaient aux regards de leurs parents et de leurs amis. C’étaient deux noyés, livides, en vêtements de coutil bleu souillés d’une poudre noire, sans coiffures, leurs cheveux roux plaqués aux joues, les yeux mi-clos, mains blanches