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Page:Georges Eekhoud - Escal-Vigor.djvu/102

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ESCAL-VIGOR

caste et qu’il recherchait au contraire la camaraderie d’artistes et de lettrés besoigneux ou même de parasites infimes. Réfractaire à l’étiquette et au code mondain, il ne se montrait dans aucun salon.

Ses goûts et ses penchants offraient de bizarres contradictions. Ainsi, le même dilettante acquéreur de rares estampes et amateur de reliures de prix, collectionnait des défroques et des outils de pauvres, des couteaux de matelot, de sordides tickets d’entrées de bals faubouriens.

Après s’être montré d’une grande expansion, le jeune Kehlmark se rencognait dans une contrainte farouche. Sa joie même était désordonnée et une rauque intonation de voix en révélait parfois la sombre arrière-pensée, au point que Blandine douta longtemps qu’il eût connu un jour de véritable sérénité. Son plaisir grimaçait, son rire grinçait. Il avait l’air de porter au dedans de lui cette aigre fumée dont parle le Dante : portando dentro accidioso fummo. Il semblait vouloir étouffer un mal secret, imposer silence à l’on ne savait quel remords ! Dans ses grands yeux outre-mer, il y avait souvent de la provocation et de l’offensive, mais lorsqu’il cessait de se composer un visage, ses yeux s’inondaient de cette navrance sans