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Page:Georges Eekhoud - Escal-Vigor.djvu/36

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ESCAL-VIGOR

Claudie se flattait bien de la faire renvoyer et, s’il le fallait, de la remplacer en attendant le mariage ; assez sûre d’elle-même pour se donner à Kehlmark et le forcer ensuite à l’épouser. Puis, la jordaenesque femelle jugeait assez insignifiante cette petite personne pâle et mièvre, vaguement anémique, maigrichonne, privée de ces robustes appas si prisés des rustres.

Non, le comte de la Digue n’hésiterait pas longtemps entre cette mijaurée et la superbe Claudie, la plus éblouissante femelle de Smaragdis et même de Kerlingalande.

Durant le dîner, elle jaugea l’homme avec des regards et un flair lascifs de bacchante, en même temps qu’elle estimait le mobilier, le couvert et la vaisselle avec des yeux de tabellion ou de commissaire-priseur. Quant à la valeur du domaine, elle lui était connue depuis longtemps, d’ailleurs comme à tous ceux du village. Ce vaste vallon triangulaire, limité de deux côtés par les digues, et du troisième par une grille et de larges fossés, représentait, avec les cultures et les bois dépendants, près du dixième de l’île entière. Et la rumeur publique attribuait en outre à Kehlmark des possessions en Allemagne, aux Pays-Bas et en Italie.