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Page:Georges Eekhoud - Escal-Vigor.djvu/58

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ESCAL-VIGOR

musique prit la tête du cortège. Le comte leur donna la conduite jusqu’à la grille d’honneur et les vit ensuite, aux sons scandés de leur marche favorite, s’évanouir dans la grande ormaie régnant entre le château et le village.

Claudie, sautillant au bras de son père, lui vantait le comte de la Digue ou plutôt sa fortune et son luxe, mais sans avouer encore au fermier le grand projet qu’elle avait conçu.

Le petit Guidon, tête droite, jouait sa partie avec une bravoure inusitée. Son bugle semblait provoquer les étoiles. Et, tout le temps, Guidon songeait au maître de l’Escal-Vigor. Dans les échos de sa fanfare, il espérait retrouver les accents de la voix évangélique du Dykgrave, et c’était aussi un peu de son regard profond qu’il épiait dans les ténèbres veloutées. Bizarre contradiction : nonobstant cet enthousiasme, le pauvret se sentait le cœur gros, la gorge nouée, les yeux tout disposés aux larmes — et c’étaient parfois des appels de détresse, des cris au secours, que son cuivre adressait au lointain protecteur qui les écoutait encore, non moins navré de sympathie, bien après qu’ils se fussent éteints sous les ormes particulièrement solennels.