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Page:Germain - Œuvres philosophiques, 1896.djvu/16

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ce qu’elle a sous la main, pénètre, devine, s’intéresse, se passionne : c’est un labeur de jour et de nuit, c’est une ardeur telle que sa famille s’en effraie. On essaya d’abord d’entraver son goût. À quoi pourrait servir la géométrie à une personne de son sexe ? Sans doute sa réponse fut plus respectueuse que celle de Galilée[1] ; toutefois, en cherchant à mettre obstacle à son désir, on ne réussit qu’à l’accroître. Alors, pour la forcer à prendre le repos nécessaire, on retire de sa chambre le feu, les vêtements, la lumière. Elle feint de se résigner ; mais, quand la famille est endormie, elle se relève, s’enveloppe de couvertures et, par un froid tel que l’encre gèle en son écritoire, se livre à ses chères études. Plusieurs fois on la surprit ainsi le matin, transie de froid sans s’en être aperçue. Devant une volonté si extraordinaire pour son âge, on eut la sagesse de laisser la jeune Sophie disposer à son gré de son temps et de son génie, et l’on fit bien : comme le géomètre de Syracuse, elle serait morte

  1. On demandait à Galilée à quoi servait la géométrie : il répondit que la géométrie servait principalement à peser, à mesurer et à compter ; à peser les ignorants, à mesurer les sots, et à compter les uns et les autres.