Aller au contenu

Page:Germaine de Stael - Lettres et pensées du maréchal prince de Ligne, Paschoud, 1809.djvu/206

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soucoupe, et une petite cuiller avec des confitures de rose. Un autre brûle des parfums, ou verse des essences qui embaument le sallon. L’un d’eux apporte une tasse de café, l’une d’elles un verre d’eau : et cela se répète chez vingt Boyards, le même jour, si l’on va les voir. Ce seroit une grande malhonnêteté de se refuser à ces politesses.

On est bien couché ici, il y fait chaud. Je suis habillé comme les Boyards. Je vais souvent chez eux pour penser sans distraction, car je ne sais que quelques mots valaques, et point du tout le grec que parlent ces dames ; elles méprisent la langue de leurs époux. D’ailleurs les Boyards parlent peu. La crainte qu’ils ont des Turcs, l’habitude d’apprendre de mauvaises nouvelles, et l’empire qu’exercent sur eux le Divan de Constantinople et l’Hospodar, les ont accoutumes à une tristesse invincible. Cinquante personnes qui se rassemblent tous les jours dans une maison, ou dans l’autre, ont l’air d’attendre le fatal cordon ; et on entend dire à tout moment : — Ici mon père fut massacré par ordre de la Porte, et ici ma sœur par ordre du prince.

Quand je dis que je vais chez les Boyards pour penser, j’y vais plutôt pour ne pas penser : car à la quatrième pipe, je deviens tout-à-fait