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Page:Germaine de Stael - Lettres et pensées du maréchal prince de Ligne, Paschoud, 1809.djvu/231

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rité. Il entendoit bien les petites nuances : Il n’avoit point cette affabilité dont tant d’autres Souverains font métier, et qui leur sert à marquer leur supériorité, il cachoit celle qu’il avoit dans plusieurs genres : il racontoit fort gaîment, et avoit beaucoup d’esprit naturel.

Il ne savoit ni boire, ni manger, ni s’amuser, ni lire autre chose que des papiers d’affaires. Il gouvernoit trop et ne régnoit pas assez. Il se faisoit de la musique à lui-même tous les jours. Il se levoit à sept heures, et pendant qu’il s’habilloit il rioit quelquefois, et sans familiarité il faisoit rire son grand-chambellan, son chirurgien et ses gens, qui l’adoroient. Il se promenoit depuis huit heures jusqu’à midi dans ses chancelleries, où il dictoit, écrivoit, corrigeoit tout lui-même ; puis il alloit le soir au spectacle.

En passant de son appartement à son cabinet, il rencontroit vingt, trente, jusqu’à cent mal vêtus, hommes ou femmes du peuple ; il prenoit leurs mémoires, causoit avec eux, les consoloit, y répondoit par écrit, ou autrement, le lendemain à la même heure, et gardoit le secret sur les plaintes quand il ne les trouvoit pas justes. Il n’écrivoit mal que lorsqu’il vouloit trop bien écrire ; ses phrases étoient longues et diffuses : il savoit à merveille quatre langues, et encore deux autres passablement.