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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/175

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sort en courroux, le hasard fait éclore de votre malheur les jours les plus riants et les plus fortunés. Ô divine providence ! c’est en vertu de tes sages décrets que nous voyons opérer ces merveilles, et cette vicissitude était sans doute nécessaire pour corriger le désordre de nos passions.

Au moment que caché sous le lit, où je m’étais réfugié, je me livrais au désespoir, la fortune tournait sa roue. Le bruit n’avait fait qu’augmenter à la vue de Françoise, à qui le chandelier était tombé des mains à l’aspect du curé qu’elle croyait dans sa chambre ; elle prit celui qu’elle voyait pour un spectre. Qu’on se peigne cette scène. Si j’en avais été témoin, j’en épargnerais la peine, mais la connaissance des parties me met en état de fournir des idées qui peuvent contribuer à la perfection du tableau. Qu’on se figure, si l’on veut, monsieur le curé, nu en caleçon, un bonnet gras sur la tête, ses petits yeux étincelants, sa grande bouche écumante, frappant comme un sourd sur l’abbé et sur la nièce.

Qu’on se représente ces deux tendres amants, la belle tremblante et s’enfonçant le plus qu’elle peut dans son lit pour se dérober aux coups, l’abbé tantôt se cachant sous la couverture et tantôt tirant la tête hors du lit, et allongeant de vigoureux coups de poing sur la physionomie du pasteur qui rugit. Qu’on se trace la figure d’une mégère en chemise, qui, la chandelle à la main, s’approche du lit, veut crier, et au même moment demeure interdite, la bouche béante, les yeux égarés, et tombe de frayeur sur une chaise, après avoir laissé tomber sa lumière.

L’abbé, autant que j’en fus juge par le silence qui régna tout à coup, craignant d’être reconnu, s’était élancé hors du lit et avait voulu gagner le large. Le pas-