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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/189

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affublé la tête d’un capuchon de serge noire, comment vivait-il ? Il ne se couchait jamais qu’il n’eût sablé ses huit ou dix bouteilles du meilleur, et souvent le jour le retrouvait sous la table, enterré parmi les débris du souper. Il a quitté le monde, Dieu l’a illuminé de sa grâce ; il lui a montré le bon chemin ; il l’a suivi. Je n’examine pas si c’est le Ciel ou si ce sont ses créanciers qui ont fait ce miracle ; mais apprenez que le Père Chérubin tiendrait encore tête au plus intrépide buveur ; il boirait, il mangerait les revenus du couvent, le couvent même, les moines, l’église, la sacristie, les cloches, le diable.

Voilà le Père Chérubin : tel vous l’avez connu, tel il est encore aujourd’hui.

Et le Père Modeste, que vous avez vu parmi vous, bouffi d’arrogance et pétri d’amour-propre, son caractère est-il refondu depuis qu’il a le corps ceint d’un triple cordon ? Vous le croyez, et moi qui le connais je vous le garantis pour le plus insolent coquin qui jamais ait endossé le harnois monacal. Écoutez-le parler, Bourdaloue près de lui ne fait que bégayer. Plus subtil que les plus grands théologiens, que saint Thomas, il parle, raisonne, entend, pénètre, perce. À son avis le Père Modeste est un phénix ; au vôtre c’est un sot ; au mien, c’en est un encore.

Voyez-vous le Père Boniface, ce madré furet qui penche dévotement la tête, qui tourne vers la terre des yeux mortifiés, qui semble, en marchant, composer avec le ciel et en implorer la fin d’une vie qui paraît pour lui un fardeau pesant ? Prenez garde à lui, c’est un serpent qui se glisse. Il monte chez vous : veillez des yeux votre femme, resserrez vos filles, éloignez vos garçons. Bougre, bardache, fouteur, il est entré, vous