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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/197

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lui répondis-je. Tenez, Père André (c’était son nom), vos discours commencent à m’impatienter, vos conseils me déplaisent autant que vos éloges. Finissez. Décampez, ou je vous…

La vivacité avec laquelle ces paroles m’échappèrent lui fit rompre son sérieux forcé. Il éclata de rire, et, me tendant la main :

— Va, me dit-il, touche-la, Frère ; je ne te croyais pas un si bon vivant. Je te plains d’être réduit à la dure nécessité de te branler. Ce que je vois te rend digne d’un meilleur sort. Il y a trop longtemps que tu te nourris de cette viande creuse, je veux te faire part de quelque chose de plus solide.

Ce discours me désarma ; sa franchise excita la mienne, je lui tendis la main à mon tour.

— Je ne connais pas, lui dis-je, la défiance, quand on agit comme vous le faites. J’accepte vos offres.

— Allons, reprit-il, parole d’honneur, tantôt je vous prends à minuit dans votre chambre. Croyez-moi, boutonnez votre culotte, ne tirez pas votre poudre aux moineaux ; vous en aurez besoin cette nuit. Je ne vous en dis pas davantage. Je vous quitte ; ne sortez qu’après moi ; il ne faut pas qu’on nous voie ensemble, notre réunion pourrait faire causer. À tantôt !

Je restai dans le dernier étonnement après le départ du moine. Il n’était plus question de branle ; uniquement occupé de sa promesse, j’y rêvais sans la comprendre. Qu’entend-il donc, disais-je, par cette viande solide dont il veut me faire fête ? Si c’est quelque Novice, ma foi ! il peut le garder pour lui : ce n’est pas là mon gibier. Je raisonnais en sot, je n’en avais pas goûté. Lecteur, êtes-vous plus habile que je ne l’étais alors ? Oui, dites-vous ; eh bien, n’est-il pas vrai que ce

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