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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/223

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Permettez-moi, mes Révérends, de l’en instruire, et de remonter un peu plus haut que ce jour que vous souhaitez que je vous rappelle.

Mon ami, continua-t-elle en m’adressant la parole, tu ne te vanteras pas d’une longue suite d’aïeux illustres : je n’en ai jamais connu. Je suis fille d’une loueuse de chaises de ce couvent, et sans doute de quelqu’un des Pères qui vivaient alors, car elle était trop vive et trop amie du couvent pour que je puisse en conscience penser que j’aie l’obligation de ma naissance à son bonhomme de mari.

À dix ans je ne démentais pas le sang dont je suis née, et je connaissais l’amour avant que je me connusse. J’étais toujours avec les Pères, ils se faisaient un plaisir de cultiver mes heureuses inclinations. Un jeune Profès me donna des leçons si touchantes et si sensibles, que j’aurais cru payer les autres d’ingratitude si je ne leur avais fait connaître que j’étais en état de leur en donner moi-même. Je m’étais déjà acquittée envers chacun d’eux de ce que je lui devais, quand ils me firent la proposition de me mettre dans un endroit où je serais en liberté de renouveler mes paiements aussi souvent que je le voudrais. Je n’avais pu les faire jusqu’alors qu’à la sourdine, tantôt derrière l’autel, tantôt devant, tantôt dans un confessionnal, et rarement dans les chambres. Cette idée de la liberté me flatta ; j’acceptai leurs offres, j’entrai ici.

Le jour de mon entrée, on m’avait fait parer comme une jeune fille que l’on va mener à l’autel. L’idée de mon bonheur répandait un air de sérénité sur mon visage, qui charmait tous les Pères. Tous voulaient me rendre leurs hommages, et chacun voulait avoir la gloire de me les rendre le premier. Je vis le moment