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Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/280

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employait contre moi les armes dont je pouvais me servir contre lui. Il obtint par ses menaces ce que j’avais refusé à ses transports. Ainsi, j’accordais tout à un homme que je détestais, et le sort arrachait de mes bras celui que j’adorais !

Je ne fus pas longtemps sans sentir les fruits amers de mon imprudence. Je cachai ma honte aussi longtemps que je le pus ; mais je me serais trahie par un silence trop obstiné. J’avais chassé l’abbé Fillot ; il se consolait dans les bras de madame Dinville. La nécessité me le fit rappeler. Je lui découvris mon état ; il feignit d’y être sensible, il m’offrit de m’emmener avec lui à Paris. Il ne manqua pas de me dire qu’il m’y ferait le sort le plus heureux ; il ajouta qu’il ne demandait, pour prix de ses services, que de vouloir souffrir qu’il me les rendît. Je ne voulais qu’être en un lieu où je pusse me délivrer de mon fardeau, comptant bien ne me servir ensuite de son crédit que pour me placer auprès de quelque dame. Je me laissai gagner par ses promesses ; je consentis de le suivre et je partis avec lui, sous le déguisement d’abbé.

Les attentions qu’il eût pour moi sur la route ne me firent pas repentir de ma confiance, mais que le traître cachait la scélératesse de son cœur sous des apparences bien trompeuses ! Les secousses du carrosse avaient trompé mon calcul et je mis au monde, à une lieue de Paris, le gage odieux de l’amour d’un misérable. Tout le monde criait au prodige et riait. Mon indigne compagnon de voyage disparut aussitôt, et m’abandonna à mes douleurs et à ma misère. Une dame plus compatissante eut pitié de mon état, elle prit un carrosse, m’emmena à Paris et me mit à l’Hôtel Dieu. Elle me tira des bras de la mort, mais ce fut pour me laisser