Aller au contenu

Page:Gervaise de Latouche - Histoire de Dom Bougre, Portier des Chartreux,1922.djvu/83

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 73 —


me serrerait de même ; je collerais sur sa bouche vermeille des baisers enflammés ; je les prodiguerais sur ses yeux, ses beaux yeux noirs et pleins de feux ; il me tiendrait dans ses bras ; quelle volupté ! Il répondrait à mes transports par des transports aussi vifs ; j’en ferais mon idole ! Oui, je l’adorerais : un beau garçon comme lui mérite bien de l’être. Nos âmes se confondraient : elles s’uniraient sur nos lèvres brûlantes. Ah ! cher Verland, pourquoi n’es-tu pas ici ? Quelles délices ! L’amour en inventerait pour nous, je me livrerais à tout ce que ma passion m’inspirerait. Mais hélas ! reprenais-je, pourquoi m’abuser par une si douce illusion ? Je suis seule, hélas ! je suis seule, et, pour comble de douleur, je tiens dans mes mains une ombre, une apparence de plaisir, qui ne sert qu’à augmenter mon désespoir, qui m’inspire des désirs sans pouvoir les satisfaire. Instrument maudit, continuai-je en apostrophant le godmiché et en le jetant au milieu de ma chambre avec rage, va faire les délices d’une malheureuse à qui tu peux servir ; tu ne feras jamais les miennes : mon doigt vaut mille fois mieux que toi ! J’y eus aussitôt recours et je me donnai tant de plaisir que j’oubliai la perte de ceux que je m’étais promise d’avoir avec le godmiché. Je tombai épuisée de lassitude et m’endormis en pensant à Verland.

Je ne me réveillai le lendemain que fort tard ; le sommeil avait amorti mes transports amoureux mais n’avait rien changé à la résolution que j’avais prise de sortir du couvent. Les mêmes raisons qui m’avaient déterminée à prendre cette résolution me firent encore sentir avec plus de force la nécessité de l’exécuter. Je me regardai dès lors comme libre, et le premier usage que je fis de ma liberté fut de me tranquilliser au lit jusqu’à