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Page:Gervaise de Latouche - Le Portier des Chartreux, 1889.djvu/130

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moi ? Ah ! Suzon, lui répondis-je, quelles délices, tu me promets ! Nous serons seuls, nous nous abandonnerons à nos amours ! Suzon, conçois-tu ce bonheur comme moi ? Elle se taisait et paraissait rêver profondément ; je la pressai de s’expliquer. — Je t’entends, me dit-elle d’un ton d’indignation ; tandis que nous serons seuls, que nous nous livrerons à l’amour, ah ! Saturnin, que tu parles de ce jour avec indifférence, et que les plaisirs qu’il te promet te touchent peu, si tu as la force de les attendre deux jours !

Je sentis son reproche ; l’impossibilité de lui en prouver l’injustice me désespérait, je maudissais les plaisirs que je venais de goûter avec Mme Dinville. Ciel ! m’écriai-je, je suis avec Suzon, j’aurais donné mon sang pour jouir de ce bonheur ! J’y suis, et je n’ai pas la force de former un désir ! Au milieu de cette confusion de pensées, je me ressouvins des pastilles que Mme Dinville m’avait données. Je jugeai que l’effet devait en être semblable à celui de son eau. Ne doutant pas qu’il ne fût aussi prompt, j’en avalai quelques-unes. L’espoir de désabuser bientôt Suzon me la fit embrasser avec une ardeur qui nous trompa tous deux. Suzon la prit pour un témoignage de mon amour, et moi, comme une marque de retour de ma vigueur. Suzon abusée par l’idée du plaisir, tomba sur son lit à demi pâmée. Quoique je me défiasse encore de moi-même, j’aurais cru l’accabler de douleur si je ne