Aller au contenu

Page:Gervaise de Latouche - Le Portier des Chartreux, 1889.djvu/182

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et par conséquent bien plus difficiles à satisfaire que les vôtres. Quelques coups suffisent pour abattre un homme, et ne font que nous animer, mettons-en six ; une femme ne recule pas après douze. Le sentiment du plaisir est donc au moins une fois aussi vif dans une femme qu’il l’est dans un homme, et si tu te croyais heureux de payer un jour de joie par un jour de chagrin, trouverais-tu étrange que j’en donnasse deux ? Serais-tu surpris que je passasse les deux tiers de ma vie dans la peine pour passer l’autre tiers dans le plaisir ? J’ai mis les choses égales entre nous : quand tu nous vois continuellement occupées de ce qui fait le souverain bonheur des femmes, quand nous sommes continuellement dans vos bras, dis-moi, crois-tu que nous puissions songer à la peine, qu’elle ait quelque empire sur nous ? Ne trouveras-tu pas notre condition mille et mille fois plus heureuse que celle de ces filles imprudentes qui, nées avec des inclinations aussi violentes que celles des autres femmes, viennent porter dans la solitude des désirs qui ne seront jamais apaisés par les embrassements d’un homme ? Qu’ils seraient plus vifs, ces désirs, s’il était possible de nous refroidir ! Nous ne regrettons rien ici. Libres des inquiétudes de la vie, nous n’en connaissons que les charmes ; nous ne prenons de l’amour que les agréments et nous ne remarquons la différence des jours que par la diversité des plaisirs qu’il nous procurent. Désabuse-toi, père Saturnin, si tu nous crois malheureuses.