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Page:Gervaise de Latouche - Le Portier des Chartreux, 1889.djvu/217

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Il eut pour moi mille attentions dans la route ; mais que le traître cachait bien la scélératesse de son cœur sous des apparences trompeuses ! Les secousses du carrosse avaient trompé mon calcul : je mis au monde, à une lieue de Paris, le gage odieux de l’amour d’un misérable. Tout le monde criait au prodige et riait. Mon indigne compagnon de voyage disparut, me laissa à ma douleur et à ma misère. Une dame charitable eut pitié de mon état, prit un carrosse, m’amena à Paris et de là à l’Hôtel-Dieu. Elle ne me tira des bras de la mort que pour me laisser dans ceux l’indigence. Je ne l’aurais sentie que trop tôt, si le hasard ne m’eût fait rencontrer une fille perdue. La misère entraîna le penchant.

N’en exige pas, davantage. La vie de Suzon n’a été qu’un enchaînement continuel de plaisirs et de chagrin. Si le plaisir s’est fait quelquefois sentir à mon cœur, il n’a fait que colorer le fond de tristesse qui le rongeait. Cessera-t-elle, cette tristesse ? Ah ! puisque je te retrouve, je ne dois plus me plaindre. Mais, toi, cher frère, ne me fais pas languir : es tu sorti de ton couvent ? Quel hasard t’a conduit à Paris ? — Un malheur semblable au tien, lui répondis-je, que m’a causé ta meilleure amie. — Ma meilleure amie ! reprit-elle en soupirant. En ai-je encore dans le monde ? Ah ! ça ne peut être que la sœur Monique. — Elle-même, repris-je : ce récit exige trop de temps : soupons.