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Page:Ghil - De la poésie scientifique, 1909.djvu/43

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de la poésie scientifique

Or, l’Émotion se dénonce muettement par le geste : toute émotion se répète de mouvements sensiblement pareils et égaux. À l’origine, elle s’exprima à rompre le silence, en le son guttural ainsi qu’une sorte de geste sonore : l’expression phonétique est donc un phénomène du mouvement et de la durée, qui se mesure de vibrations.

L’émotion a produit l’expression phonétique, elle-même imitative, en graphisme et en coloration (consonnes et voyelles), des phénomènes extérieurs. Le souvenir a gardé, reproduit et traditionnalisé l’expression phonétique en la nuançant sans cesse. — Cette complexe vibration sensitive, représentative du divers phénomène universel et de ses rapports avec l’Être qui s’en émeut, quand elle se mua dans la conscience en sentiment et en pensée s’est simplifiée et abstraite aux images schématiques de l’Idée. Le langage devenait phonétique et idéographique, l’idéogramme étant concurremment une simplification de la complexité phonétique, — qui cependant demeure en puissance émotive en lui…

Donc, en retour, toute pensée émue, toute idée suscitée à retentir suggestivement dans l’être (et il n’en doit être d’autres en poésie), nécessairement dégagera autour d’elle toute l’atmosphère complexement vibrante dont elle demeure en puissance, éveillera en mouvements toute la succession émotive d’où elle est issue… Participant du geste d’émoi traditionnellement et par répétition devenu rythmique, et du cri primordial de même essence que le geste, — le Verbe-idéogramme qui exprimera totalement cette pensée et son émotion doit aussi, nécessairement, reprendre sa valeur phonétique, c’est-à-dire ses diverses et émotives durées de vibration.