Page:Gide - Dostoïevsky, 1923.djvu/163

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tourbillons orageux, mais, si tragiques que soient les événements que ces orages déterminent, l’âme même des personnages n’en est pas précisément affectée. Il y a une région plus profonde, que ne trouble pas la passion. C’est cette région que nous permet d’atteindre avec Raskolnikoff cette résurrection (et je donne à ce mot le sens que lui donne Tolstoï), cette « seconde naissance », comme disait le Christ. C’est la région où vit Muichkine.

Comment, de l’Idiot, Dostoïevsky passe à l’Éternel Mari. Voici qui est plus intéressant encore. Vous vous souvenez sans doute qu’à la fin de l’Idiot, nous laissions le prince Muichkine au chevet de Nastasia Philipovna que vient d’assassiner Rogojine, son amant, le rival du prince. Les deux rivaux sont là, l’un en face de l’autre, l’un près de l’autre. Vont-ils s’entretuer ? Non ! Au contraire. Ils pleurent l’un contre l’autre. Ils passent toute la nuit de veille, tous deux étendus, côte à côte, au pied du lit de Nastasia.

Chaque fois que Rogojine, en proie à une fièvre ardente, commençait à délirer et à pousser des cris, le prince aussitôt lui passait sa main brûlante sur les cheveux et sur les joues pour le calmer par cette caresse.

C’est déjà presque le sujet de l’Éternel Mari. L’Idiot est de 1868 ; l’Éternel Mari est de 1870. Ce livre est considéré par certains