Page:Gide - Dostoïevsky, 1923.djvu/192

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La question du diable, si j’ose ainsi dire, tient une place considérable dans l’œuvre de Dostoïevsky. Certains verront sans doute en lui un manichéen. Nous savons que la doctrine du grand hérésiarque Manès reconnaissait dans ce monde deux principes : celui du bien et celui du mal, principes également actifs, indépendants, également indispensables, — par quoi la doctrine de Manès se rattachait directement à celle de Zarathustra. Nous avons pu voir, et j’y insiste, car c’est là un point des plus importants, que Dostoïevsky fait habiter le diable non point dans la région basse de l’homme, — encore que l’homme entier puisse devenir son gite et sa proie, — tant que dans la région la plus haute, la région intellectuelle, celle du cerveau. Les grandes tentations que le Malin nous présente sont, selon Dostoïevsky, des tentations intellectuelles, des questions. Et je ne pense pas m’écarter beaucoup de mon sujet, en considérant d’abord les questions où s’est exprimée et longtemps attardée la constante angoisse de l’humanité : « Qu’est-ce que l’homme ? D’où vient-il ? Où va-t-il ? Qu’était-il avant sa naissance ? Que devient-il après la mort ? À quelle vérité l’homme peut-il prétendre ? » et même plus exactement : « Qu’est-ce que la vérité ? »

Mais depuis Nietzsche, avec Nietzsche, une nouvelle question s’est soulevée, une question totalement différente des autres… et qui ne