Page:Gide - Dostoïevsky, 1923.djvu/198

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de sa pensée, nous verrons toutes les faces de cette idée : « Celui qui pense n’agit point… » et de là à prétendre que l’action présuppose certaine médiocrité intellectuelle, il n’y a qu’un pas.

Ce petit livre, l’Esprit souterrain, n’est d’un bout à l’autre qu’un monologue, et vraiment il me paraît un peu hardi d’affirmer, comme le faisait récemment notre ami Valery Larbaud, que James Joyce, l’auteur d’Ulysse, est l’inventeur de cette forme de récit. C’est oublier Dostoïevsky, Poe même ; c’est oublier surtout Browning, à qui je ne puis me retenir de penser lorsque je relis l’Esprit souterrain. Il me paraît que Browning et Dostoïevsky amènent du premier coup le monologue à toute la perfection diverse et subtile que cette forme littéraire pouvait atteindre.

J’étonne peut-être certains lettrés en rapprochant ainsi ces deux noms ; mais il est impossible de ne pas le faire, — de n’être point frappé par la profonde ressemblance, non seulement dans la forme, mais dans l’étoffe même, — entre certains monologues de Browning (et je pense en particulier à My last duchess, Porphyria’s lover, et surtout peut-être aux deux dépositions du mari de Pompilia dans The Ring and the Book), d’une part, et d’autre part à l’admirable petit récit de Dostoïevsky qui dans le Journal d’un écrivain, a nom Krotkaïa (c’est-à-dire, je crois, « la timide », titre sous lequel