Page:Gide - Dostoïevsky, 1923.djvu/200

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Cette phrase de lui que je citais dernièrement — de ses « Proverbes de l’Enfer » comme il appelle certains de ses apophtegmes : « Le désir, non suivi d’action engendre la pestilence, pourrait servir d’épigraphe à l’Esprit souterrain de Dostoïevsky, ou cet autre : « N’attends que du poison des eaux dormantes. »

« L’homme d’action du dix-neuvième siècle est un individu sans caractère », déclare le héros — si j’ose l’appeler ainsi — de l’Esprit souterrain. L’homme d’action, selon Dostoïevsky, doit être un esprit médiocre, car l’esprit altier est empêché d’agir lui-même ; il verra dans l’action une compromission, une limitation de sa pensée ; celui qui agira, ce sera, sous l’impression du premier, un Pierre Stepanovitch, un Smerdiakoff (dans Crime et châtiment, Dostoïevsky n’avait pas encore établi cette division entre le penseur et l’acteur).

L’esprit n’agit point, il fait agir ; et nous retrouvons dans plusieurs romans de Dostoïevsky cette singulière répartition des rôles, cet inquiétant rapport, cette connivence secrète : qui s’établit entre un être pensant et celui qui, sous l’inspiration du premier, et comme à sa place, agira. Souvenez-vous d’Ivan Karamazov et de Smerdiakoff, de Stavroguine et de Pierre Stépanovitch, celui que Stavorguine appelle : son « singe ».

N’est-il pas curieux de trouver une première