Page:Gide - Dostoïevsky, 1923.djvu/229

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pourriez de la sorte vous rendre utile. Je vous indiquerai quelqu’un, si vous n’avez pas peur[1].

Et il songe, un instant, dans le cas où Kiriloff reculerait devant le suicide, à lvi faire commettre le meurtre de Chatoff, au lieu de le lui faire simplement endosser.

— Alors, soit, ne vous brûlez pas la cervelle aujourd’hui. Il y a moyen de s’arranger.

— Tuer un autre, ce serait manifester mon indépendance sous la forme la plus basse, et tu es là tout entier. Je ne te ressemble pas : je veux atteindre le point culminant de l’indépendance et me tuerai[2].

…Je suis tenu d’affirmer mon incrédulité, poursuivit Kiriloff en marchant à grands pas dans la chambre. — À mes yeux, il n’y a pas de plus haute idée que la négation de Dieu. J’ai pour moi l’histoire de l’humanité. L’homme n’a fait qu’inventer Dieu pour vivre sans se tuer ; voilà le résumé de l’histoire universelle jusqu’à ce moment. Le premier dans l’histoire du monde, j’ai repoussé la fiction de l’existence de Dieu.

N’oublions pas que Dostoïevsky est parfaitement chrétien. Ce qu’il nous montre dans l’affirmation de Kiriloff, c’est de nouveau une banqueroute. Dostoïevsky ne voit de salut, nous l’avons dit, que dans le renoncement. Mais une nouvelle idée vient se greffer, je vous citerai de nouveau un Proverbe de l’Enfer, de Blake : « If others

  1. Possédés, II, pp. 334, 336 et 337.
  2. Ibid., II, pp. 337.